vendredi 16 juillet 2010

14 juillet, un feu d'artifice de routine


La seringue retractable
Mercredi 14 juillet, une journée comme les autres à Mirandilla. La routine. Visiblement les taureaux du Marquis ne sont pas sensibles à la fête nationale de leur mayoral français!

1h00 du matin. On sonne à ma porte à Gerena. Saut du lit brutal. Un voisin qui vient d’Aznalcollar, le village voisin, m’avertit qu’il a vu à hauteur de la finca, sur la route, un animal, une vache lui semble-t-il. Je commence à stresser. L’année dernière, le bus du village avait percuté et tué une de nos vaches adultes sur cette même route. Les dégats sur le bus avaient déjà été considérables. Je pense alors à une voiture de tourisme ou pire encore une moto…
Je me rends sur place en voiture. L’animal est au bord de la route. Ses yeux brillent dans la lueur des phares. Je respire. Ce n’est qu’une velle. Elle a perdu ses repères, ne sachant pas retourner d’où elle venait. Je descends de mon véhicule. Entre temps, apparaît Javi, le casero*, averti par téléphone. Nous essayons d’attrapper la génisse. Elle nous échappe, traverse une clôture, et pénètre dans un enclos de vaches mères. Je peux retourner au lit tranquille. Elle est chez nous. Pas dans son enclos, mais bien chez nous. Demain sera un autre jour…

7h00. Petit café bien serré chez le casero et organisation de la journée de travail des vachers. A mon époque de contrôleur de gestion ont appelait cela un briefing! Disons que là c’est un peu plus marrant, plus détendue comme ambiance. Et puis je vous mets au défi de faire prononcer ce mot à un de mes vachers.
Piti et Javi donneront à manger au bétail. Remplir le moulin d’avoine et de fêves, moudre, verser en sacs, charger sur la remorque avec les balles de foin; Chico ira à cheval sortir le groupe d’añojas* pour pâturer les chaumes de blé et nettoiera ensuite les écuries; Pedro et Cheche feront de la maçonnerie au cortijo* toute la matinée. Pour ma part, je ferai une révision complète des enclos
Rendez-vous en milieu de matinée pour le deuxième partie de la peonada*.

Bien que je fasse deux fois par jour cette tournée, il y a toujours quelquechose à découvrir.
Bilan du jour. J’ai trouvé l’endroit par où la velle est sortie cette nuit. C’est une ouverture dans une haie de figuiers de barbarie. On bouche. Un veau sevré la semaine dernière a une blessure infectée sur l’épaule gauche. On l’attrappe, on l’attache et on le charge sur la remorque. Ça ressemble à un coup de corne. On nettoie bien, on désinfecte et on lui administre un antibiotique sous-cutané. Deux génisses tientées et réformées sont passées avec le lot de douze utreros*. On les trie à deux cavaliers. Une d’elle a une blessure dans la poitrine. On la fait passer dans le couloir à contention. C’est un gros coup de corne assez profond. Ayant passée la nuit avec des taureaux, l’un d’eux a dû tenter de la couvrir et l’a blessée. Même opération qu’avec le veau. Une vieille vache qui n’était pas passée au dernier assainissement apparaît morte. Son corps était bien camouflé au milieu d’un arbuste de lentisque. Elle avait cherchée la fraîcheur pour mourir. L’odeur pestilentielle m’a averti. Nostalgie, c’est la nº 235, Lobina, vingt et un ans, quinze enfants. La doyenne du troupeau. On remorque son cadavre avec la tracteur, vers le cortijo. J’avertis la société qui est en charge de l’évacuation des cadavres por l’équarrissage. Ils viendront certainement demain.

Le vétérinaire du ministère de l’agriculture me téléphone. Il est dans les parages et peut passer dans une heure. Il nous reste huit novillos à vacciner contre le virus 4 de la fièvre catarrhale (langue bleue). On les sort de leur enclos en les attirant avec le tracteur et la nourriture. Deux cavaliers “poussent” le bétail dans le calme. On les enferme en corral. Je refuse de les passer au couloir de contention. Trop dangereux pour leur intégrité physique. Cela se fera à la seringue retractable, du haut des chiqueros*. La manipulation, dans la plus grande sérénité, se passe à peu près bien. Un des novillos, le nº 1 s’abîme tout de même la pointe de la corne droite. A observer dans les jours à venir.
Un abreuvoir est vide. Je suis la canalisation et trouve une fuite. Les taureaux ont gratté le sol et fissuré le tuyau. Je vais au village acheter le matériel nécessaire. J’en profite pour rêgler une facture au maréchal ferrant et récupérer un filtre de gasoil pour le tracteur.

11h00. Javi, le plus plombier de nous tous, répare la tuyauterie. Il passe ensuite la herse à disques dans un enclos pour broyer les chardons. Piti et Chico nettoient un autre parc où ils retirent des morceaux de fils barbelés et des piquets en bois d’une clôture remplacée il y a dix ans! A cheval, ils vont ensuite rentrer les génisses qui ont pâturé les chaumes.
Il me reste un peu de temps pour mettre à jour de la paperasse: notes sur les incidences des dernières journées, vérification de la concordance des codes européens des vaches avec le livre de registre, tri de factures, passage des notes de tienta sur l’ordi, ... Il faut aussi répondre aussi à la dizaine de messages téléphoniques sur le portable.

13h15, fin de la journée. On se retrouve dans le patio de caballos*. On douche et fait boire les chevaux. Commentaires de la journée. On appelait cela le debriefing dans mon temps de gestionnaire! Pour ma part, je reviendrai en fin d’après-midi pour une nouvelle tournée et un peu de paperasserie. Mais ça c’est une autre histoire…

La vache Lobina
Journée normale de campo. Rien de très noble ou excitant. Seulement la routine. C’est lors de journées comme celles-ci que la passion doit vous donner des ailes. Parvenir à toujours resentir de l’émotion, même dans un train-train de préoccupations.
Loin l’image du mayoral, sombrero de ala ancha* visé sur la tête qui parade à cheval toute la journée au milieu de ses taureaux…Etre mayoral c’est souvent autre chose. L’élevage d’un taureau de combat est la somme de centaines de tâches et de tracasseries durant cinq années. Et tout ça pour quinze minutes de lidia* de l’animal en piste.

Vous pouvez alors imaginer la colère retenue du mayoral lorsqu’il entend la sentence laconique du matador :
“c’est que vous comprenez, … le taureau ne m’a pas servi”.
Greuuuhhhh…



Casero: gardien de la ferme, qui dort sur place

Añoja: génisse d’un an

Cortijo: partie bâtie de la ferme. Corps de ferme

Peonada: journée de travail dans l’agriculture

Utrero: taureau de trois ans

Patio de caballos: cour de travail dans la ferme. Lieu de répartition des tâches de la journée

Chiqueros: petites dépendances, à la suite des corrals plus amples

Sombrero de ala ancha: chapeau à large bord

Lidia: ensemble des phases du combat d’un taureau dans l’arène

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